L’isolement social, un enjeu de santé publique
C’est l’isolement social qui pourrait être, en bout de ligne, une plus grande menace que le coronavirus pour notre survie et notre longévité.
Une récente revue de la littérature réalisée par deux chercheurs de l’Université McGill profite de la crise sanitaire pour explorer ce que la science a appris au fil des années des conséquences négatives de l’isolement social sur notre bien-être psychologique et notre santé physique, y compris la réduction de l’espérance de vie.
« Le manque de relations sociales a un effet très néfaste sur notre cerveau et des études nous montrent que ce manque peut être associé avec de nombreuses maladies, dont l’Alzheimer, ainsi que des troubles psychiatriques », résume Danilo Bzdok, professeur au Département de génie biomédical et co-auteur de cette analyse.
La solitude est une perception subjective, qui peut être très bien vécue par de nombreux individus. Mais l’isolement social, lui, peut être vécu comme une menace existentielle par notre cerveau. Pour les créatures sociales que nous sommes, être privé d’un « toucher social » peut même nuire à notre croissance dans les premiers temps de notre vie et avoir des effets dommageables à toutes les autres étapes de notre existence.
« Pour les bébés et les jeunes enfants, c’est dramatique », résume celui qui est également chercheur à l’Institut québécois de recherche en intelligence artificielle, Mila. « On sait qu’une mère aide à faire grandir son enfant. C’est très concret: on constate dans le cerveau que les privations affectent des zones du système émotionnel et ça va avoir des conséquences sur la croissance de l’enfant ».
Mais la chose serait également mauvaise pour celui qui s’isole volontairement: cette situation affecterait directement son système immunitaire, ce qui le rendrait moins résistant aux maladies. Des recherches ont montré que les liens sociaux stimulent la libération des globules blancs du système immunitaire inné, dont la fonction principale est de détruire les bactéries et les virus nuisibles.
En d’autres termes, plus notre réseau social est solide, moins nous tombons malade. Sans compter que si nous tombons malade, nous guérissons plus vite si nous sommes bien entourés. Une compilation de 148 études épidémiologiques (environ 300 000 personnes au total) avait conclu en 2010 que deux des trois facteurs majeurs influant la mortalité étaient sociaux : la fréquence du soutien social des autres et la bonne intégration de la personne dans son réseau social. Le troisième était la consommation de tabac.
« On sait que les gens les plus isolés sont plus à même de fumer, boire et consommer diverses substances, mais aussi d’avoir un sommeil de moindre qualité », rappelle le Pr Bzdok.
On pourrait croire que plus nous avons des amis, mieux c’est. Pas si simple: la qualité émotionnelle de l’amitié dépend directement du temps investi dans le lien social – un peu l’inverse de nos « amis » Facebook. Une étude prospective a estimé en 2019 que près de 200 heures de rencontres régulières en trois mois pouvaient transformer un étranger en un bon ami. Par contre, si le nombre d’échanges diminue, la qualité de la relation décline rapidement.
Est-ce que les relations à distance et via internet peuvent compenser le manque de contacts directs? « L’interaction visuelle s’avère très importante, plus que les courriels ou le téléphone » soutient le chercheur. « Le visage des autres reste une source d’informations », importantes pour notre cerveau.
Néanmoins, la vie virtuelle correspond assez bien aux relations sociales de la vraie vie. Les personnes qui sont peu entourées sont probablement celles qui ont reçu moins d’appels et vécu plus durement l’épidémie de solitude forcée. L’OMS dénonce d’ailleurs les risques de l’isolement depuis une dizaine d’années.
Ce que la Covid-19 va provoquer à long terme, on l’ignore. « Nous ne savons pas encore. La situation actuelle, c’est du jamais vu », précise le chercheur.
Les femmes, qui tissent plus de réseaux sociaux, seraient plus protégées que les hommes. Ceux qui adhèrent à des groupes (sport, loisirs, religion) se sentent généralement moins solitaires. Et certaines personnes s’avèrent plus résilientes que d’autres face au manque de contacts sociaux.
« Il est possible de développer notre capacité à forger des relations sociale et notre empathie par des exercices quotidiens et de se prêter à des activités qui libèrent de l’endorphine, une hormone importante pour le cerveau. Par exemple, faire de la musique ou chanter en groupe, même à distance. On peut adapter le cerveau à la situation, mais est-ce que nous pourrons rattraper ce manque de contacts sociaux, ce n’est pas sûr », juge Danilo Bzdok.
Il en est aussi du ressort des politiques, souligne-t-il, de créer des endroits ou des contextes de rencontres pour les personnes plus isolées, particulièrement les aînés : « c’est une question de santé publique. Et la Grande-Bretagne, avec sa stratégie pour lutter contre la solitude, pourrait nous inspirer. »
Des interactions sociales centrales à notre vie
Pour le neuropsychologue Louis Bherer, qui a lu cet article, celui-ci « soutient la thèse centrale que nous sommes des individus sociaux et qui ont besoin de contact social. Rien de nouveau : on sait depuis longtemps que les enfants privés de contacts sociaux de qualité, se développent moins bien sur le plan intellectuel et que ces lacunes pourraient être expliquées par un développement moins marqué de certaines régions cérébrales ».
Par contre, le lien causal serait plus difficile à confirmer. « Les preuves sont des corrélations… des relations, au mieux des prédictions, mais qui ne permettent pas de confirmer hors de tout doute le lien. Il en va de même pour l’impact négatif de la solitude sur la capacité de notre cerveau à faire face aux incidents (comme une commotion) ou aux changements, comme le vieillissement. Certaines personnes ont une meilleure réserve et s’adaptent mieux », ajoute le professeur titulaire du Département de médecine de l’Université de Montréal.
« L’article nous permet de mettre en évidence certains risques de prolonger l’isolement social », poursuit-il. « Toutefois, deux éléments positifs sont à noter. D’abord, les liens sociaux virtuels, via Zoom, Facebook, Skype, Facetime, semblent répondre aux mêmes règles que les liens réels, en terme de nombre d’amis et de degrés de proximité. De plus, le rapprochement social, chez les gens à risque, comme les patients déprimés, diminuerait les risques de rechute. Ceci suggère que les interactions sociales devraient être sérieusement considérées comme centrales à toutes formes d’interventions et de prise en charge en matière de santé, notamment dans le domaine de la prévention des maladies mentales, de la démence et du déclin cognitif. »
Source : Isabelle Burgun
Agence Science-Presse (www.sciencepresse.qc.ca )
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